Les plus-values de cessation sont-elles encore intéressantes après la réforme de l’impôt des sociétés ?
Lors du passage d’une entreprise unipersonnelle à une société, on peut envisager de vendre à la société divers actifs constitués dans le cadre de l’entreprise unipersonnelle. Il peut s’agir d’immobilisations corporelles (IC), comme du mobilier, des bâtiments, des installations, etc., mais tout autant d’immobilisations incorporelles (II), comme la clientèle, le goodwill, une marque, etc. La plus-value réalisée lors de la vente au moment de la cessation de l’entreprise unipersonnelle est appelée «plus-value de cessation». Cette plus-value est la différence positive entre le prix de vente et la valeur comptable des actifs dans l’entreprise unipersonnelle. En cas de vente de la clientèle, le prix de vente total constitue donc une plus-value de cessation. La clientèle que l’entrepreneur a constituée lui-même n’est en effet pas inscrite dans les livres de l’entreprise unipersonnelle.
Taux favorable à l’IPP
Les plus-values de cessation réalisées sur la vente d’IC et d’II par une entreprise unipersonnelle sont soumises à un régime favorable à l’IPP. À certaines conditions, elles ne sont ainsi pas soumises au taux progressif, mais imposées distinctement.
Vente volontaire
Dans le cas d’une vente volontaire, les taux suivants (à majorer encore des additionnels communaux – AC) sont d’application depuis l’EI 2019 :
- Plus-values réalisées sur des II (clientèle ou goodwill), dans la mesure où elles ne sont pas supérieures au bénéfice net imposable des quatre années précédant la cessation : 33 % ;
- Plus-value réalisée sur des IC, des immobilisations financières (IF) ou d’autres actions : 16,5 %.
Cessation définitive à partir de 60 ans
Les taux précités sont ramenés à 10 % en cas de cessation définitive à partir de l’âge de 60 ans (c’est l’âge du contribuable proprement dit qui est déterminant, alors que celui du conjoint aidant n’a pas d’importance). Dans la mesure où les plus-values de cessation sur des II sont supérieures au bénéfice net ou aux profits des quatre années précédant celle de la cessation, elles seront imposées au taux progressif. La plus-value sur les stocks ou d’autres actifs circulants est également imposée au taux progressif.
Apport d’une branche d’activité
Aucun impôt ne doit en principe être payé si tous les éléments de l’entreprise unipersonnelle peuvent être considérés comme une branche d’activité et sont apportés en échange d’actions. En cas de vente ultérieure des actions, le fisc prélèvera cependant sa dîme et la plus-value sera imposée à ce moment. L’indépendant peut dès lors choisir de faire imposer d’emblée l’apport (aux taux favorables si les conditions sont remplies) afin d’éviter cette imposition ultérieure.
Attention : imposabilité immédiate
L’imposabilité naît au moment où la créance a acquis un caractère certain et liquide et ce, indépendamment de la date du paiement effectif. De même, le fait que le paiement du prix de cession soit différé ou étalé, p.ex. une dette en compte-courant (C/C) qui n’est pas payée aux moments convenus ou n’est (en partie) pas payée (p.ex. en raison de la faillite du cessionnaire) ne change rien à ce principe.
Quid des cotisations sociales ?
Soumises aux cotisations sociales...
Les plus-values de cessation sont en principe incluses dans la base de calcul des cotisations sociales. Si des cotisations sociales maximales ont déjà été payées grâce à un revenu net imposable élevé, il n’y aura naturellement pas lieu de payer une cotisation supplémentaire.
... sauf en cas de cessation définitive
Ce principe souffre cependant une exception, à savoir lorsqu’il s’agit d’une cessation définitive ou d’un départ à la retraite. La plus-value de cessation est en effet exclue de la base de calcul des cotisations sociales, pour autant que l’indépendant cesse ses activités ou qu’il parte à la retraite au plus tard le 31 décembre de l’année civile suivant l’année au cours de laquelle la plus-value de cessation a été réalisée.
La vente : une meilleure option ?
Déductibilité à l’impôt des sociétés
La société peut naturellement activer les actifs repris et les amortir sur la durée d’usage. Il semble donc ainsi que de l’argent puisse passer de la société à l’entrepreneur de manière fiscalement intéressante. Bien que les amortissements constituent, à l’instar d’une rémunération, des frais déductibles, une rémunération est imposée de manière progressive, alors que la plus-value (p.ex. le prix de vente de la clientèle) est imposée à un taux fixe de 33 % (+ AC).
Cependant, vu la diminution des taux de l’ISoc et les règles récemment instaurées concernant le précompte mobilier réduit sur certaines distributions de dividendes, on est en droit de se demander si une vente imposée constitue la solution optimale. On effectue souvent alors la comparaison entre (i) une vente imposée de la clientèle à la société et (ii) pas de vente, mais la distribution d’un dividende intéressant prélevé sur le «bénéfice supplémentaire» épargné. Cette comparaison est toutefois difficile à opérer, comme nous allons le voir.
En pratique
Dans de nombreux cas, le prix de vente final n’est payé qu’ultérieurement et il y a donc lieu de payer en une fois l’IPP (à 33 % + les AC) sur les sommes encore à recevoir. En outre, les actifs achetés doivent être amortis dans la société : le prix de vente ne peut donc pas être porté immédiatement en frais (la clientèle doit p.ex. être amortie sur au moins cinq ans). Un prix de vente de la clientèle (plus-value complète) de 100 000 € génère, à 33 % + 8,5 % d’AC, un produit net de 64 195 € (abstraction faite des cotisations sociales) pour le vendeur. La société (p.ex. soumise au taux de 20 %) bénéficie aussi, par le biais des amortissements déductibles, d’une économie d’ISoc de 20 000 €.
Alternatives
Il vaut naturellement la peine de vérifier si un paiement alternatif par la société à la place d’une vente ne serait pas intéressant : p.ex. un dividende prélevé sur une réserve de liquidation ou le régime VVPR-bis. Dans le cadre de ces régimes favorables, il faut cependant observer des délais d’attente pour bénéficier pleinement du taux le plus bas. Mais, comme nous l’avons indiqué, dans le cadre du régime des plus-values de cessation (en cas de manque de liquidités), l’entrepreneur doit souvent aussi attendre avant d’obtenir le paiement complet du prix de vente.
L’inconvénient d’un dividende, c’est qu’il ne constitue pas une charge déductible. L’économie totale se situe donc entièrement (et uniquement) au niveau de l’IPP. Il ne faut pas non plus payer de cotisation sociale sur un dividende, ce qui constitue éventuellement une économie supplémentaire. Un bénéfice de la société de 100 000 € avant impôts peut en effet générer un dividende net de 69 091 € (bénéfice imposé à 20 % et réserve de liquidation, à 10 + 5 %). En net, il reste donc visiblement plus, mais pour effectuer ce paiement, il faut respecter le délai d’attente.