IMMOBILIER - 12.03.2020

Quand les frais d’un immeuble dans votre société sont-ils déductibles ?

La Cour d’appel a récemment décidé qu’une société pouvait entièrement déduire les frais de deux appartements à la mer. Cette décision a suscité pas mal de réactions, car ces dernières années, la jurisprudence en matière d’immobilier dans les sociétés était souvent défavorable au contribuable.

Quelle est la condition la plus importante pour déterminer si les frais d’un immeuble dans votre société sont ou non déductibles ? L’utilisation du bâtiment a-t-elle de l’importance ? Pourquoi la Cour de Gand a-t-elle donné raison à la société dans cette affaire ?

Quand est-ce déductible ?

Quatre conditions

Les frais d’une société sont des frais professionnels (en principe fiscalement déductibles) lorsqu’ils satisfont à quatre conditions (art. 49 CIR 92) . Tout d’abord, ils doivent nécessairement être liés à l’exercice de l’activité professionnelle. Ensuite, ils doivent avoir été faits ou subis durant l’exercice comptable ou avoir acquis le caractère de dettes ou pertes certaines et liquides. Troisièmement, le montant ou la réalité de ceux-ci doit être justifié au moyen de documents probants. Enfin, ils doivent être faits ou supportés en vue d’acquérir ou de conserver des revenus imposables.

Condition d’intention

C’est cette dernière condition, la condition d’intention, que le fisc utilise ces dernières années pour refuser la déduction des frais d’un immeuble. C’est le contribuable qui supporte la charge de la preuve de la déductibilité des frais professionnels ; le fisc peut donc se limiter à demander à la société de prouver qu’elle supporte les frais de l’immeuble afin d’acquérir ou de conserver des revenus imposables. La manière dont cette preuve doit être fournie dépend de l’utilisation qui est faite du bâtiment. Distinguons trois situations.

Trois situations

Bâtiment utilisé pour sa propre activité

Lorsque votre société utilise un bâtiment entièrement pour ses propres activités, p.ex. comme bureau, atelier, etc., le fisc ne remettra en principe pas en question la déduction des frais. En principe, peu importe que la société soit pleine propriétaire ou qu’elle n’ait que l’usufruit du bâtiment. Lorsque le fisc a des questions sur l’usufruit, cela porte en général sur l’évaluation de cet usufruit.

Bâtiment donné en location

S’il s’agit d’une société immobilière, cette situation coïncide avec la première, de sorte que la déduction des frais est normalement acceptée. Lorsque la location de biens immobiliers n’est pas l’activité principale de votre société, la condition selon laquelle les frais sont faits ou supportés pour acquérir ou conserver des revenus imposables est, à première vue, remplie. Les revenus locatifs sont en effet déductibles pour votre société. Il faut toutefois faire une distinction entre pleine propriété et usufruit.

Pleine propriété ou usufruit ?

S’il s’agit de la pleine propriété, le bâtiment ne sort en principe de la société que lorsqu’il est vendu ou parce qu’il est attribué aux actionnaires en cas de liquidation. En général, la société réalise à ce moment-là une plus-value imposable. Même si la location a été une opération déficitaire, on peut encore justifier que les amortissements et autres frais ont été faits pour acquérir des revenus imposables, à savoir la plus-value lorsque le bâtiment quitte la société.

Un bâtiment en usufruit disparaît toutefois automatiquement, et sans plus-value, du patrimoine de la société lorsque le délai d’usufruit est expiré. Voilà pourquoi, en cas d’usufruit, le fisc peut refuser la déduction, lorsque dès le départ, il est clair que la location ne générera pas de bénéfices car les revenus de la location ne dépasseront jamais les frais (Gand, 09.11.2010, 06.09.2016 et 13.02.2018 ; Anvers, 07.11.2017 et 14.11.2017) et que les coûts ne profitent donc qu’au dirigeant nu-propriétaire (Cass., 21.06.2019) .

Il est donc essentiel que l’intention soit de faire de la location une opération qui génère du bénéfice. Aucune société indépendante ne conclura sciemment une opération dans laquelle il est établi d’avance que les frais seront supérieurs aux bénéfices. Voilà pourquoi, pour l’achat de l’usufruit, vous devez établir un plan financier réaliste d’où ressort l’intention de réaliser un bénéfice. Si, en raison de circonstances, cela ne marche pas, le fisc ne peut pas rejeter la déduction uniquement et simplement parce que les frais dépassent le montant des revenus qui ont pu être acquis ou conservés (Cass., 23.04.2010 ; Anvers, 26.05.2015 et 27.02.2018 ; Trib. Gand, 28.05.2019) .

Bâtiment utilisé par les dirigeants

Voilà la situation la plus visée par le fisc, et qui revient donc souvent dans la jurisprudence. C’est également dans ce scénario que la théorie de la rémunération est pertinente. Selon cette théorie, les frais d’un immeuble ne sont déductibles que s’ils ont été faits pour octroyer au dirigeant un avantage de toute nature logement gratuit. Un avantage de toute nature est de la rémunération, et une rémunération de dirigeant est en principe un frais professionnel déductible (art. 195, §1, al. 1 CIR 92) .

La théorie de la rémunération est en principe acceptée par la Cour de cassation (Cass., 13.11.2014 et 14.10.2016) , mais avec la nuance importante qu’il faut démontrer que les frais de la mise à disposition au dirigeant d’un logement gratuit ou bon marché sont compensés par les prestations effectives du dirigeant. Le simple fait qu’un avantage logement gratuit est déclaré ne suffit pas à justifier la déduction.

Question de fait

Démontrer les prestations effectives du dirigeant est une question de fait qui doit être appréciée par les tribunaux en cas de discussion entre le fisc et le contribuable. Hélas, dans la plupart des cas, la jurisprudence est d’avis que la preuve requise n’est pas fournie, de sorte que la déduction des frais de l’immeuble n’est pas acceptée (Anvers, 10.01.2017, 28.03.2017, 07.11.2017, 06.02.2018, 28.03.2018 et 27.11.2018 ; Mons, 15.11.2017 ; Gand, 06.09.2016, 17.10.2017, 19.12.2017, 02.01.2018, 09.01.2018, 10.04.2018 et 04.12.2018 ; Liège, 28.11.2016) .

Politique de rémunération

Dans les arrêts de ces cours, revient souvent la remarque selon laquelle la théorie de la rémunération ne permet pas, sous le couvert des prestations fournies du dirigeant, de répercuter comme cela sur la société toutes sortes de dépenses de nature personnelle. Dans ce contexte, il est utile d’inclure l’acquisition de l’usufruit dans la politique de rémunération du dirigeant et de mettre cela sur papier, p.ex. en consacrant un point distinct à vos rémunérations (en nature) dans les p.-v. de l’assemblée générale et les rapports sur les intérêts contradictoires lors de l’acquisition de l’usufruit. Tenez compte du fait que de tels documents augmentent les chances que la déduction soit acceptée par le fisc et le juge, mais ne le garantissent pas.

Pleine propriété

Si votre société dispose de la pleine propriété du bâtiment que vous occupez gratuitement, vous pouvez invoquer la théorie de la rémunération. En outre, la potentielle plus-value ultérieure est également un revenu imposable qui peut justifier la déduction des frais. C’est ce qu’il s’est passé dans une récente affaire dont on a parlé dans la presse (Gand, 03.12.2019) . Un titre de journaux tel «Appartement à la mer fiscalement déductible» doit donc être nuancé. Si la société en question n’avait eu que l’usufruit des appartements, elle n’aurait eu comme argument que la théorie de la rémunération, et il reste à voir si, compte tenu des nombreux arrêts négatifs en la matière de la Cour d’appel de Gand, la déduction des frais aurait été acceptée.

Conseils

  • Le critère déterminant pour décider si les frais d’un bâtiment dans votre société sont déductibles est la condition d’intention. La société doit démontrer qu’elle déduit les frais du bâtiment pour acquérir ou conserver des revenus imposables.
  • Le contrôle de la condition d’intention n’est en principe pas un problème lorsque votre société utilise le bâtiment pour son activité propre, p.ex. comme bureau ou atelier.
  • Si votre société donne l’immeuble en location ou vous le met à disposition gratuitement, vous pourrez mieux vous défendre contre le fisc, le cas échéant, lorsque votre société est pleine propriétaire plutôt que dans le cas où elle ne dispose que de l’usufruit de l’immeuble. Lorsqu’un bâtiment en pleine propriété disparaît de la société, votre société réalise en principe un revenu imposable (une plus-value), tandis qu’un bâtiment en usufruit quitte en principe le patrimoine de la société sans plus-value.

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