SOCIÉTÉ DE MANAGEMENT - 09.07.2020

Le fisc peut-il ignorer l’existence d’une société (de management) ?

Les dirigeants fournissent souvent leurs prestations via une société de management. Le fisc peut-il ignorer l’existence d’une société (de management) et imposer les revenus de cette société dans le chef du gérant ?

Quand le fisc peut-il écarter la réalité juridique ? Quand est-il effectivement question de simulation ou d’abus fiscal ? Qu’a récemment dit la Cour de cassation à ce sujet dans un dossier spécifique ?

Rémunération de dirigeant ?

Que s’est-il passé ?

Madame D., créatrice de mode, avait créé une SPRL en 1985, étant la «société d’exploitation» dont elle s’était nommée gérante. En septembre 2004, elle a constitué une nouvelle SPRL, étant la «société de management» dont elle était également la gérante. Elle a en outre octroyé à la société d’exploitation une licence afin d’utiliser sa marque à travers le monde. Les royalties perçues étaient déclarées comme revenus mobiliers par Madame D.

Elle démissionna ensuite de sa fonction de gérante de la société d’exploitation et, par la suite, un contrat de prestations de services fut conclu entre les deux sociétés, sur la base duquel la société d’exploitation était redevable à la société de management d’une indemnité forfaitaire de ± 250 000 €. En échange, la société de management allait rendre des services en matière de direction artistique et de relations publiques qui allaient être prestés par Madame D. et son époux.

Qu’a fait le fisc ?

Le fisc était d’avis que les royalties ne devaient pas être imposées comme des revenus mobiliers, mais comme des revenus professionnels, et plus exactement comme de la rémunération de dirigeant que percevait Madame D. de la société d’exploitation. Il a suivi ici un raisonnement en trois étapes.

En premier lieu, selon le fisc, la licence octroyée pour utiliser la marque était indissociablement liée à la profession de Madame D., créatrice de mode, et Madame D. avait continué à exercer, en son nom, son activité en tant que créatrice de mode, vu qu’elle collaborait activement au développement de nouveaux produits pour la société d’exploitation. Voilà pourquoi les royalties sont, selon le fisc, des revenus de biens mobiliers qui sont utilisés pour l’activité professionnelle, donc des revenus professionnels (art. 37, al. 1 CIR 92) .

Deuxièmement, Madame D. devait, selon le fisc, être considérée comme dirigeant de la deuxième catégorie de la société d’exploitation. Les dirigeants de la première catégorie sont les administrateurs, les gérants, les liquidateurs ou des personnes avec des fonctions analogues (art. 32, al. 1, 1° CIR 92) . Les dirigeants de la deuxième catégorie sont des personnes sans mandat d’administration, qui exercent de manière indépendante une fonction dirigeante de nature commerciale et technique dans une société (art. 32, al. 1, 2° CIR 92) .

Dans une troisième étape, le fisc appliqua le principe d’attraction. Selon ce principe, tous les revenus professionnels qu’un dirigeant (de la première ou deuxième catégorie) perçoit de sa société sont considérés comme des rémunérations de dirigeant.

Qu’a décidé la Cour d’appel ?

Madame D. n’était pas d’accord avec cette taxation et a porté l’affaire devant les tribunaux. La Cour d’appel d’Anvers a toutefois donné raison au fisc (Anvers, 14.11.2017) . Selon les juges de cette Cour, les trois étapes du raisonnement développées par le fisc étaient correctes. Ils ne comprenaient pas pourquoi Madame D. était considérée comme gérante de la société d’exploitation, même si elle ne rendait pas directement ses services à la société l’exploitation, mais plutôt via une société de management.

Qu’a décidé la Cour de cassation ?

La Cour de cassation (Cass., 02.01.2020) considère en principe que – et sous réserve de l’application des dispositions anti-abus – les impôts doivent être prélevés sur la construction juridique réellement utilisée par le contribuable. Il résulte de ce principe qu’il ne peut être fait abstraction de l’existence d’une société et des conventions conclues par cette société que lorsqu’il est établi qu’il est question de simulation. L’arrêt conclut en constatant que la simulation n’est pas démontrée, et donc que le fisc et la Cour d’appel ont à tort nié la personnalité juridique propre de la société de management et l’existence d’un contrat de prestations de services.

Le fisc doit donc accepter la réalité juridique, à savoir que les services de management sont exécutés selon le contrat de prestations de services par la société, qui a une personnalité juridique propre. Peu importe que les services soient physiquement exécutés par des personnes physiques, comme Madame D. et son époux. La réalité physique ne prime donc pas sur la réalité juridique ; elle n’est pas «plus réelle».

Simulation ou abus fiscal ?

Exceptions

Il n’y a que deux exceptions au principe selon lequel le fisc doit se baser sur la réalité juridique. Le fisc peut tout de même ignorer la réalité juridique s’il est question de simulation ou d’abus fiscal. La simulation ou l’abus fiscal ne sont toutefois pas présumés, mais doivent être démontrés par le fisc.

Quand y a-t-il simulation ?

Il est question de simulation lorsqu’est établi un acte apparent qui ne correspond pas à une transaction réelle, ou lorsqu’un acte réel est dissimulé en tout ou en partie sous la forme d’un autre (Cass., 14.04.1964) . Le fisc peut prouver la simulation en démontrant que l’acte ostensible ou l’ensemble d’actes ne correspond pas à ce que les parties ont réellement convenu, autrement dit que les parties n’ont pas accepté toutes les conséquences juridiques de l’acte ostensible.

Dans cette affaire, la société de management et le contrat de services auraient été simulés si Madame D. avait agi comme si elle était encore toujours gérante de la société d’exploitation, donc si elle avait nié la personnalité juridique de la société de management et l’existence du contrat, p.ex. en signant en son nom personnel des documents qu’elle aurait dû signer au nom de la société de management ou en faisant transférer des revenus pour la société directement vers son compte propre.

Quand y a-t-il abus fiscal ?

Depuis 1993, il existe, en matière d’impôts sur les revenus, une disposition anti-abus générale qui a été complètement réécrite en 2012 car l’ancienne version ne pouvait que rarement être appliquée (art. 344, §1 CIR 92) . Selon la nouvelle disposition anti-abus, il est question d’abus fiscal lorsque le contribuable réalise (i) une opération par laquelle il se place en violation des objectifs d’une disposition du CIR ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci ou (ii) une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition du CIR ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, dont l’octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l’obtention de cet avantage.

Dans cette affaire, le fisc n’avait pas invoqué la disposition anti-abus (ancienne version), mais la possibilité d’ignorer avec la disposition anti-abus – dans sa version d’après 2012 – la personnalité juridique d’une société est plutôt théorique. Même si le fisc devait parvenir à démontrer que la constitution d’une société et l’utilisation de celle-ci pour des services de management sont contraires aux objectifs du législateur fiscal, ce qui n’est pas évident, il y a en principe également d’autres motifs non fiscaux à l’utilisation d’une société de management, comme la limitation de la responsabilité, le fonctionnement de l’entreprise ou l’organisation du patrimoine (familial).

CONSEILS

  • Le fisc s’est fait rappeler à l’ordre par la Cour de cassation car les impôts doivent en principe être prélevés sur la réalité juridique réellement utilisée, sauf si le fisc démontre qu’il y a simulation ou abus fiscal.
  • Il n’est pas évident pour le fisc d’ignorer l’existence d’une société de management pour cause de simulation tant que vous faites les choses correctement et p.ex. que vous ne signez pas en nom personnel des documents que vous devriez signer au nom de la société de management et ne faites pas transférer à tort des revenus vers votre compte privé.
  • Démontrer l’abus fiscal n’est pas non plus évident. Il y a en général aussi des motifs non fiscaux qui sont présents (limitation de la responsabilité, organisation professionnelle, fonctionnement de l’entreprise, organisation du patrimoine familial, ...) dans le choix de travailler avec une société.

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