INVESTISSEMENTS - PLUS-VALUES - 05.10.2022

Carried interest : aussi fiscalement intéressant ?

Récemment, les médias ont accordé beaucoup d’attention au «carried interest», l’indemnité complémentaire accordée aux gestionnaires d’investissement pour leur permettre de participer à la hausse de valeur des actifs de leur portefeuille d’investissement. Le maintien d’un impôt sur les pl us-val ues sur le carried interest (au lieu d’une taxation normale en tant que revenu professionnel) aurait ainsi été une étape importante vers l’introduction d’une taxe sur les rachats d’actions propres, dans le cadre de la réforme fiscale américaine du président Biden. Mais qu’est-ce que le «carried interest» ? Comment peut-on encore le structurer de manière avantageuse dans le contexte fiscal actuel ?

Incentive

Afin d’inciter les professionnels de l’investissement et d’aligner leurs intérêts sur ceux des investisseurs ordinaires, il est courant, dans le secteur, d’accorder une indemnité complémentaire basée sur les plus-values réalisées sur les actifs du portefeuille.

Lors de l’introduction de la pricaf privée, le législateur avait déjà évoqué la possibilité d’une indemnité de «carried interest». Cependant, la Belgique n’a pas de règles spécifiques pour l’imposition des «carried interest», de sorte que celle-ci a lieu selon les règles générales de l’IPP et/ou de l’ISoc.

Il existe différentes manières de structurer le carried interest et, en fonction de cette structure, différentes conséquences fiscales sont attachées au revenu.

Jurisprudence belge

Fin 2021, plusieurs jugements ont été rendus contre des collaborateurs d’une célèbre société de private-equity belge. Dans ces affaires, le fisc belge essayait d’imposer une partie des plus-values sur les actions en tant que revenu professionnel. Les actions avaient été acquises par les collaborateurs concernés et étaient imposées en application de la loi sur les options sur actions. L’ISI a toutefois tenté de requalifier cette structuration, au motif que les options sur actions résultaient de constructions artificielles fictives sans véritable raison d’être économique. Toutefois, les tribunaux n’ont pas suivi cette position (p.ex. Trib. Anvers, 29.09.2021) .

Revenus professionnels

Dans le cas où le carried interest est considéré comme une partie (complémentaire) de la rémunération du gestionnaire, le revenu est considéré comme un revenu professionnel, imposable aux taux habituels de l’impôt des personnes physiques. Toutefois, afin de limiter leur responsabilité, les gestionnaires exercent généralement leurs activités de gestion par le biais d’une société. Ce sont donc les taux de l’impôt des sociétés (20 % ou 25 %) qui s’appliquent. Les dividendes versés par la société de management à son dirigeant sont ensuite sont imposés au taux de 30 %, mais ce taux peut être réduit à 15 % (régime VVPR-bis) ou à 13,64 %/9,09 % (régime de la réserve de liquidation).

Il s’agit de la structuration la plus simple des bonus. Toutefois, étant donné qu’un apport de fonds propres est généralement attendu de la part des gestionnaires, en pratique, le carried interest est moins souvent structuré comme un revenu professionnel complémentaire.

Actions privilégiées

Dans la plupart des cas, le carried interest est structuré par l’émission, moyennant paiement, d’actions privilégiées, en faveur des gestionnaires ou de leur société de management. Cela permet de leur demander un apport, afin de les impliquer davantage dans leur gestion.

Dans le cas des actions privilégiées, le carried interest donnera lieu à une plus-value, ce qui peut conduire à une qualification fiscale du produit en dividendes, imposables soit à 30 % à l’IPP (ou moins, grâce au régime VVPR-bis ou aux réserves de liquidation) ou à l’ISoc, où l’on peut éventuellement bénéficier d’une exonération par le biais des RDT.

Si les gestionnaires concernés réalisent des plus-values sur les actions, le produit peut être exonéré à l’IPP, sauf si le gestionnaire réalise les gains en dehors du cadre de la gestion normale de son patrimoine privé. Dans ce cas, les plus-values sont imposables à 33 %, en tant que revenus divers.

Si les actions privilégiées sont créées dans le seul but d’octroyer un carried interest et de contourner les règles relatives aux revenus professionnels, il est possible que la notion d’abus fiscal entre en jeu. Néanmoins, plusieurs rulings individuels ont déjà considéré, à juste titre, que l’octroi d’une indemnité de «carried interest» par le biais d’actions était justifié par des motifs autres que l’évasion fiscale (déc.   ant. n°   2021.0453) . Il est alors généralement exigé que le gestionnaire reçoive une «rémunération normale» en plus de son «equity return».

Les décisions concernant expressément la qualification d’une plus-value sur des actions privilégiées accordant un carried interest sont plus limitées. Toutefois, le service des décisions anticipées a décidé que la vente peut être non imposée dans le cadre d’une situation leaver (déc.   ant. n°   2021.0502) .

Options sur actions

Une autre solution consiste à structurer le carried interest par le biais d’options sur actions, qui donnent lieu à une perception de l’impôt anticipée. Cette possibilité a également été confirmée – quelque temps après l’introduction de la loi du 26 mars 1999 – dans plusieurs décisions de la Commission de ruling belge (p.ex. déc.   ant. n°   2015.508 et 2019.0682) . La loi du 26 mars 1999 a clarifié le traitement fiscal de l’octroi d’options sur actions à des personnes physiques : c’est un élément de rémunération qui leur est versée pour la prestation de services professionnels. Lorsque la loi sur les options sur actions s’applique, les options accordées sont imposables au moment de leur attribution, à un taux forfaitaire (en résumé, 9 % ou 18 %, augmenté en fonction de la période d’exercice), sur la valeur de l’action sous-jacente au moment de l’offre. La loi sur les options sur actions prévoit expressément que les avantages futurs obtenus par la cession de l’option, l’exercice de l’option ou la cession des actions après l’exercice de l’option ne constituent plus des revenus professionnels.

En Belgique, il est généralement admis que les plus-values résultant de l’exercice d’une option (et les plus-values ultérieures sur les actions) ne sont pas des revenus imposable. Bien que la loi ne l’exige pas, dans la pratique, la condition à respecter est que l’octroi des options ne soit pas disproportionné par rapport à la rémunération accordée. Ainsi, une rémunération uniquement par le biais d’options sur actions ou une plus-value trop importante (même si elle ne découle pas des actes du détenteur de l’option) peut soulever des questions fiscales. Néanmoins, il nous semble assez exceptionnel que l’exercice d’options puisse donner lieu à une imposition si les règles du jeu ont été respectées lors de leur attribution.

C. Kaura

Avocate Sansen International Tax Lawyers

En dépit d’une initiative récente de l’ISI, les règles du jeu en matière de carried interest semblent plutôt claires en Belgique. Une structuration sous la forme d’une «action privilégiée» est en principe possible et conduit à une imposition du patrimoine privé (dividende ou éventuellement plus-value exonérée). La loi sur les options sur actions permet de régler à l’avance la question de l’imposition des revenus professionnels. Bien entendu, les personnes concernées doivent être correctement rémunérées pour les services rendus, en dehors p.ex. d’un investissement dans des actions privilégiées. Enfin, il est conseillé de justifier en détail la structure par les motifs économiques qui l’ont suscitée.

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