USUFRUIT - 08.12.2022

Imposition sur un ATN au début ou au terme de l’usufruit ?

Lorsque votre société et vous effectuez un achat scindé d’un immeuble, une question importante est de savoir si le fisc accepte la déduction par la société des amortissements et autres frais de l’usufruit. Le cas échéant, votre usufruit n’est toutefois pas encore sûr à 100 % sur le plan fiscal. En effet, vous pouvez éventuellement être imposé en tant que nu-propriétaire-dirigeant d’entreprise sur un avantage de toute nature (ATN) à la constitution de l’usufruit ou à son terme. Quand cela sera-t-il le cas ? Que pouvez-vous faire pour l’éviter ? Que dit la jurisprudence ?

Un ATN au début de l’usufruit

Quand y a-t-il un ATN imposable ?

Lorsque votre société et vous effectuez un achat scindé d’un bien, vous devez diviser le prix d’achat entre votre société et vous. Pour vous, le nu-propriétaire, il est important que l’usufruit soit évalué à la valeur la plus haute possible, et donc la nue-propriété à la valeur la plus basse, car vous devrez alors payer moins maintenant pour acquérir un bien en pleine propriété plus tard, au terme de l’usufruit. Mais si vous surévaluez l’usufruit, le fisc peut imposer la différence, en tant qu’ATN, par rapport à la valeur réelle.

Comment éviter un ATN imposable ?

Il n’y a pas une seule valeur correcte pour l’usufruit ; l’évaluation doit être objective, justifiée et cohérente. Le fisc, et plus particulièrement le Service des décisions anticipées, acceptera en principe une évaluation fondée sur la valeur locative nette de l’immeuble, actualisée sur la durée de l’usufruit, mais vous pouvez également utiliser une autre méthode d’évaluation.

Il est préférable de faire appel à un expert, même si cela ne garantit pas qu’aucun ATN ne sera imposé. En effet, le fisc n’est pas obligé d’accepter l’évaluation d’un expert, il peut l’écarter s’il démontre qu’elle contient des erreurs ou qu’elle n’est pas motivée, et s’il propose une évaluation alternative motivée (Gand, 17.11.2020) .

Que dit la jurisprudence ?

La quasi-totalité de la jurisprudence relative à l’imposition d’un ATN à la constitution de l’usufruit porte sur la valeur locative brute du bien, qui est le point de départ de la plupart des évaluations. Trois règles pratiques peuvent être tirées de cette jurisprudence. Tout d’abord, c’est le fisc qui a la charge de prouver l’ATN, c’est-à-dire la surévaluation de l’usufruit. Il ne suffit pas qu’il remette en question votre évaluation, il doit fournir sa propre contre-évaluation. Si cette évaluation du fisc n’est pas ou peu étayée, le juge ne doit pas en tenir compte (Anvers, 13.09.2021) ou peut en tout cas la corriger à la baisse (Gand, 26.01.2021) .

Deuxièmement, les éléments de comparaison sont importants. Normalement, c’est la partie qui a le plus et/ou les meilleurs éléments de comparaison qui l’emporte. Ne déterminez donc jamais la valeur locative sans vous renseigner sur la valeur locative de biens comparables, car vous permettrez alors au fisc de critiquer très facilement votre évaluation (Gand, 24.04.2018 ; Anvers, 03.03.2015) . D’un autre côté, vous ne devez bien sûr pas simplement accepter les éléments de comparaison du fisc. Celui-ci pourrait utiliser la valeur locative de biens qui ne sont pas du tout comparables aux vôtres, et donc ne pas prouver correctement la surévaluation (Anvers, 14.11.2017) .

Troisièmement, il est important que vous utilisiez la valeur locative du bien à la constitution de l’usufruit. Lorsque votre société achète l’usufruit d’un bien immobilier qui n’est pas encore achevé, mais qu’elle fonde l’évaluation de l’usufruit sur la valeur locative après l’achèvement, et que les frais de finition sont payés par votre société, vous faites payer deux fois la finition à votre société. Selon la jurisprudence, le fisc peut alors, à bon droit, vous imposer, à titre d’ATN, sur les frais d’achèvement (Bruxelles, 09.11.2021) .

L’inverse est aussi possible : si l’usufruit n’a été constitué qu’après que le propriétaire a rénové en profondeur et agrandi le bien, une évaluation fondée sur une valeur locative beaucoup plus élevée que l’ancien loyer est justifiée, et il n’y a donc pas d’ATN imposable (Gand, 06.06.2017) .

ATN au terme de l’usufruit

Quand y a-t-il un ATN imposable ?

Un ATN peut être imposé au terme de l’usufruit, si votre société a payé des travaux qui vous enrichissent, mais pour lesquels vous ne l’indemnisez pas ou pas suffisamment.

L’ancien droit des biens, qui reste applicable aux usufruits constitués avant le 01.09.2021, distingue, en matière d’indemnité, les travaux d’amélioration des travaux d’extension. Les travaux d’amélioration sont des travaux dont le coût est limité au montant des revenus de l’usufruit pour l’usufruitier (art. 599, al. 2 ancien C. civ.) . Pour les travaux d’amélioration, le nu-propriétaire ne doit aucune indemnité à l’usufruitier au terme de l’usufruit. Toutefois, si l’usufruitier a réalisé des travaux d’extension, qui peuvent être enlevés, mais qui sont conservés par le nu-propriétaire (art. 555, al. 3 ancien C. civ.) , ou qui ne peuvent être enlevés, mais qui étaient nécessaires à la conservation de l’immeuble ou utiles parce qu’ils augmentaient la valeur de l’immeuble, le nu-propriétaire devra normalement indemniser l’usufruitier. Si vous ne le faites pas en tant qu’usufruitier-dirigeant d’entreprise, le fisc peut vous imposer sur un ATN, pour la valeur des travaux.

La distinction entre les travaux d’amélioration et d’extension a été supprimée dans le nouveau droit des biens. La règle est désormais que le nu-propriétaire doit indemniser l’usufruitier pour tous les travaux de construction qu’il a réalisés dans les limites de son droit, sans y être obligé et avec le consentement du nu-propriétaire (art. 3.160, al. 1er nouveau C. civ.) , et non pour les autres travaux.

Comment éviter un ATN imposable ?

Normalement, vous ne pouvez pas être imposé sur un ATN si les travaux réalisés par votre société se limitent à des réparations d’entretien et à des travaux de remise en état pour l’occupation (ameublement, décoration, etc.). Si vous souhaitez que votre société prenne en charge le coût des grosses réparations, des rénovations importantes et des travaux d’extension (p.ex. la construction d’un étage supplémentaire ou d’une extension arrière), il est préférable de le prévoir dans l’acte d’achat de l’usufruit ou dans un acte complémentaire. Le fisc ne pourra en principe pas vous imposer sur un ATN si vous concluez un accord que vous concluriez également avec un usufruitier indépendant (donc un accord qui ne vous favorise pas).

L’accord pourrait consister à ce que vous déterminiez la manière dont l’éventuelle indemnité sera calculée au terme de l’usufruit. Vous pouvez également convenir que vous partagerez, pendant la durée de l’usufruit, le prix de revient des travaux entre votre société et vous. Les travaux peuvent être en grande partie supportés par votre société au début de la période d’usufruit, si vous utilisez la valeur relative de la nue-propriété et de l’usufruit comme clé de répartition.

Que dit la jurisprudence ?

La jurisprudence sur l’ATN au terme de l’usufruit est maigre. Selon la Cour de cassation (Cass., 30.10.2014) , les revenus annuels de l’usufruit, et donc le montant maximal des travaux d’amélioration, ne peuvent être estimés à 4 % de la valeur de la pleine propriété, comme l’avait fait la Cour d’appel de Mons, en appliquant de manière erronée une disposition en matière de droits d’enregistrement (Mons, 12.11.2012) . Un calcul par actualisation de la valeur locative sur la durée de l’usufruit peut être effectué et a permis de conclure à l’absence d’ATN dans un cas (Bruxelles, 12.09.2017) et à la présence d’un ATN dans un autre (Mons, 01.06.2018) . Dans une affaire récente, le juge a considéré que les travaux de transformation non susceptibles d’enlèvement réalisés par l’usufruitier-société avaient été utiles et avaient donc donné lieu à un ATN dans le chef du nu-propriétaire (Liège, 10.12.2021) .

CONSEILS

  • Vous pouvez être imposé sur un ATN au début de l’usufruit, si vous surévaluez l’usufruit, et à son terme, si votre société a réalisé à ses frais des travaux qui vous enrichissent mais pour lesquels vous ne l’indemnisez pas (suffisamment).
  • Vous pouvez éviter l’ATN à la constitution de l’usufruit en l’évaluant de manière objective, justifiée et cohérente. Il ressort de la jurisprudence qu’il est important de justifier la valeur locative brute à l’aide d’éléments de comparaison suffisamment pertinents et de la fonder sur l’état (éventuellement inachevé) du bien.
  • Vous pouvez éviter un ATN au terme de l’usufruit soit en faisant en sorte que votre société ne paie pas de travaux autres que les réparations, les travaux d’entretien et les travaux destinés à rendre le bien propre à son utilisation, soit en concluant au préalable un accord équilibré sur l’indemnité au terme de l’usufruit ou sur la répartition des frais pendant l’usufruit.

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