EXAMEN APPROFONDI - RESPONSABILITÉ - 14.02.2023

Responsable alors que les experts ne sont pas unanimes ?

L’instauration de nouvelles règles de preuve dans le nouveau Code civil (C. civ.) a permis au juge d’autoriser aussi une preuve «par vraisemblance». Comment cela s’est-il manifesté dans une récente affaire de roulage ? Et, surtout, ces nouvelles règles peuvent-elles aussi impacter les affaires de responsabilité médicale ?

Le contexte

En principe, c’est au patient de prouver votre responsabilité (et pas l’inverse). De plus, non seulement il lui faut prouver votre faute, mais aussi l’existence d’un lien de causalité entre votre faute et son dommage, ledit lien devant exister «avec une vraisemblance qui frise la certitude». L’article 8.6 du nouveau C. civ. prévoit toutefois une importante dérogation au cas où une telle preuve serait impossible ou déraisonnable. Là, il peut suffire au juge d’établir que la faute ou le lien de causalité est seulement «probable». Dans une récente affaire, cette règle a été mise en œuvre… avec d’importantes conséquences à la clé.

Que s’était-il passé ?

Une femme enceinte de 5,5 mois avait été victime d’un accident de roulage. Le lendemain, elle avait été admise avec des contractions. Son col de l’utérus était dilaté. En dépit de son hospitalisation, son enfant était né gravement handicapé à 32 semaines. Les parents avaient alors entamé une action à l’encontre de l’assureur du conducteur qui avait embouti le véhicule de la femme. Ils lui réclamaient l’indemnisation des lésions qu’elle conservait à la suite de la collision, mais aussi celle du grave handicap de leur enfant prématuré. Un collège d’experts avait alors été désigné.

Qu’a dit la justice ?

En première instance. De l’avis du collège d’experts, le lien de causalité entre l’accident, l’admission à l’hôpital, la naissance prématurée et le handicap était établi. Le tribunal avait toutefois jugé leur rapport peu clair et avait désigné un nouveau collège composé d’un gynécologue, d’un pédopsychiatre et d’un orthopédiste spécialisé en dommages corporels. Eux n’avaient pas été unanimes : pour le gynécologue, le lien entre l’accident et la naissance prématurée était «très probable», mais pour les deux autres experts, considérant que divers facteurs allaient dans une autre direction, ce lien de causalité n’était pas établi. Le tribunal avait dès lors décidé que l’assureur ne devait pas indemniser le dommage causé par le handicap de l’enfant (Trib. Liège, 20.10.2015) .

En appel. La Cour d’appel a jugé que le premier rapport d’expertise était clair et que, en dépit des visions contradictoires des experts subséquents, la preuve d’une vraisemblance du lien de causalité avait au moins été apportée. La Cour a ainsi fait application du nouvel article 8.6 C. civ., qui ne requiert plus l’existence d’un lien de causalité «certain». Ainsi, le conducteur a finalement été tenu responsable de la naissance prématurée et du grave handicap qui en avait résulté, et son assureur s‘est vu contraint d’indemniser ce dommage (Liège, 16.09.2021) .

Qu’en retenir ?

Bien que cette décision ait été rendue dans le cadre d’un litige de responsabilité consécutif à un accident de roulage, il se peut tout autant que des juges appliquent les nouvelles règles de preuve, empathiques envers les victimes, à des affaires de responsabilité médicale. Là aussi, en effet, on désigne très souvent des experts, et si ceux-ci ne sont pas unanimes, mais qu’au moins un d’entre eux estime qu’il y a un lien de causalité, cela pourrait jouer contre vous. Le risque de voir votre responsabilité quand même retenue dans une telle situation est donc devenu plus élevé qu’avant…

En cas de dissension entre plusieurs experts judiciaires, il y a un risque que les juges concluent plus vite à votre responsabilité. Ils pourraient plus facilement admettre l’existence d’un «lien de causalité» entre la faute et le dommage, alors même qu’un seul expert estime que ce lien existe, là où les autres ne sont pas du même avis ou ne se prononcent pas.

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