DROITS D’AUTEUR - 06.06.2023

Droits d’auteur : dernières évolutions dans la jurisprudence et la pratique fiscale

Le nouveau régime des droits d’auteur est entré en vigueur depuis le 1er  janvier 2023. Deux décisions de justice intéressantes ont récemment été publiées sur les droits d’auteur «à l’ancienne», mais elles sont également intéressantes pour le nouveau régime.

Cassation : droits d’auteur des avocats

En principe, l’application du régime fiscal des droits d’auteur ne peut pas être refusée à certains groupes professionnels. Au fil des années, la pratique l’a dès lors appliqué aux architectes, aux spécialistes du marketing, aux développeurs de logiciels, aux tatoueurs… Le fisc semble toutefois moins enthousiaste à l’idée d’une application à certains groupes professionnels, tels que les avocats, les comptables ou les professions médicales, au motif que la profession est trop encadrée par des règles, une déontologie, des contraintes techniques et des faits liés au client, de sorte que l’auteur ne peut dès lors pas réaliser des créations intellectuelles résultant de choix libres et créatifs. En 2019, la Cour d’appel de Gand a dû se pencher sur les œuvres d’un avocat et a jugé qu’un avocat ne créait normalement pas d’œuvres protégées par le droit d’auteur dans le cadre de sa pratique professionnelle.

La Cour de cassation a maintenant cassé cet arrêt, à juste titre (Cass., 24.03.2023) . Ce faisant, elle a précisé qu’une limitation par des considérations techniques ou des règles professionnelles n’empêche pas une œuvre d’être protégée par le droit d’auteur si l’auteur peut néanmoins exprimer sa personnalité dans l’œuvre par des choix libres et créatifs. Il peut s’agir de choix concernant la formulation, la disposition et la combinaison des mots. Le fait qu’un auteur produise l’œuvre dans le cadre de son activité professionnelle et qu’il soit censé faire preuve de l’expertise professionnelle nécessaire pour ce faire n’empêche pas l’œuvre d’être «originale». En résumé, l’appréciation doit toujours se faire en fonction des œuvres concrètes qui sont présentées. Les présentations ou la littérature juridique professionnelle conçues par des avocats bénéficient ainsi indéniablement de la protection du droit d’auteur, et peuvent dès lors bénéficier du régime fiscal y afférent.

L’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel d’Anvers, qui réexaminera les faits et déterminera si l’auteur a effectivement opéré des choix libres et créatifs lors de la rédaction des œuvres en question.

Cour d’appel : abus fiscal

Dans un autre arrêt récent, l’application du régime des droits d’auteur par un architecte a encore été refusée, alors que toutes les conditions de l’article 17, §1, 5°, CIR 92 étaient remplies. La Cour d’appel de Liège a en effet considéré qu’il y avait un abus fiscal, de sorte que lors de l’application de l’article 344, §1, CIR 92, la rémunération devait être imposée comme si le régime ne s’appliquait pas, et donc en tant que rémunération de dirigeant d’entreprise (Liège, 08.03.2023, 2022/RG/129) . Cette requalification a de lourdes conséquences : le taux progressif (max. 50 % + additionnels communaux) est d’application et la rémunération est soumise aux cotisations de sécurité sociale.

Il y a abus fiscal lorsqu’un contribuable demande, en contradiction avec les objectifs du législateur, un avantage fiscal découlant du CIR 92 ou de ses arrêtés d’application dans le but principal d’éluder l’impôt.

Pour conclure qu’il y avait effectivement un abus, la Cour a pris en compte les faits suivants : (1) l’architecte a reçu pour la concession de ses droits d’auteur une indemnité substantiellement plus élevée que sa rémunération professionnelle, (2) l’indemnité de droits d’auteur était octroyée chaque année, sans le moindre aléa ou risque d’interruption (ce qui serait contraire à l’objectif du législateur) et (3) l’indemnité était un montant forfaitaire précisément aligné chaque année sur le plafond prévu par l’article 37, al. 2, CIR 92. Selon la Cour, ce dernier élément démontre que l’architecte a agi dans un but purement fiscal.

En raison de l’ingéniosité assez poussée de l’architecte en question, il n’y a toutefois pas lieu, d’après nous, de généraliser. Il est ainsi p.ex. exact que le législateur a voulu que le régime fiscal des droits d’auteur soutienne les artistes aux revenus divers, mais il n’a pas pour autant voulu en refuser l’accès aux personnes autres que les auteurs au sens étroit du terme. En effet, l’une des autres raisons de l’adoption de ce régime était de mettre fin à l’incertitude juridique, en qualifiant clairement les droits d’auteur de revenus mobiliers, jusqu’à une certaine limite annuelle.

En pratique, l’arrêt a une certaine importance dans la mesure où ceux qui accordent des droits d’auteur au sein de leur propre société doivent également en déterminer le montant «at arm’s length». À partir de 2025, la nouvelle législation prévoit un plafond de 30 %, ce qui signifie que les droits d’auteur payés seront considérés comme des revenus mobiliers jusqu’à cette limite.

Les vrais artistes aussi dans le collimateur ?

Les droits d’auteur inférieurs au seuil (indexable) de 37 500 € sont présumés être des revenus mobiliers auxquels s’applique le taux favorable de 15 %, et ce même lorsque ces droits d’auteur sont utilisés dans le cadre d’une activité professionnelle, alors qu’ils devraient normalement être taxés en tant que revenus professionnels (art. 37, CIR 92) . Si le fisc n’est pas d’accord avec la qualification de droits d’auteur, la charge de la preuve lui incombe. En effet, l’article 17, §1, 5°, CIR 92 n’implique pas une exonération, mais constitue un régime légal qui qualifie de revenus mobiliers les revenus qui ne dépassent pas un certain seuil.

Les artistes qui reçoivent une rémunération par l’intermédiaire d’ «organismes de gestion collective» dépassent régulièrement le seuil de 70 022 € (pour 2023). De plus en plus souvent, nous constatons que le fisc requalifie alors quasi automatiquement l’excédent en revenus professionnels soumis aux taux progressifs et aux cotisations sociales. En pratique, cependant, on constate que le fisc fait peser toute la charge de la preuve sur l’auteur, qui doit alors démontrer en quoi ses œuvres sont «originales».

Toutefois, le fisc doit encore prouver que les droits d’auteur sont utilisés pour l’exercice de l’activité professionnelle du bénéficiaire. Le fait que les œuvres aient été produites dans le cadre d’une activité professionnelle particulière ne signifie pas qu’elles sont utilisées pour cette activité (la Cour de cassation l’a confirmé à deux reprises, en 2017 et 2018).

Les droits d’auteur qu’un metteur en scène obtient ainsi de la SABAM par l’intermédiaire de sa société de management ne constitueront dès lors pas des biens professionnels ou des moyens de production pour son activité. Ils ne sont que le produit de cette activité. L’activité professionnelle de ce réalisateur consiste à écrire des scénarios et non à céder des droits d’auteur. La Cour d’appel de Gand a déjà souscrit à cette jurisprudence de la Cour de cassation en faveur d’un artiste-metteur en scène. Sur le terrain, le fisc continue néanmoins à appliquer la requalification à l’égard des artistes qui reçoivent des droits d’auteur d’organismes de gestion collective au-delà de la limite.

En ce qui concerne les droits d’auteur accordés à un avocat, la Cour de cassation a jugé que le fait qu’une activité soit liée à des règles ou à des contraintes techniques n’empêche pas que des œuvres protégées par le droit d’auteur en découlent. Une indemnité de droits d’auteur peut aussi être accordée à intervalles réguliers, mais elle doit être proportionnelle à la rémunération de la prestation matérielle. Le fait que la Cour d’appel de Liège ait tranché en faveur de l’abus fiscal est, selon toute vraisemblance, principalement dû à certains éléments spécifiques de l’affaire. Les «vrais» artistes ont tout intérêt à se méfier de la requalification des droits d’auteurs en revenus professionnels.

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