Une indemnité malgré la reconnaissance du motif grave ?
Qu’est-ce que l’abus de droit ?
En tant qu’employeur, vous disposez du droit de licencier vos travailleurs. Vous devez toutefois exercer ce droit dans les limites de «ce que ferait un employeur normalement prudent et diligent» . Si vous ne le faites pas, on pourrait considérer cela comme un abus de droit. Depuis le 1er avril 2014, en l’absence d’un motif de licenciement, on parle certes de licenciement manifestement déraisonnable, mais si en raison des circonstances du licenciement, le travailleur a subi un préjudice, il peut aussi être question d’un abus de droit. Ce n’est même pas exclu si vous l’avez licencié pour un motif grave... justifié.
Que s’est-il passé ?
Un travailleur a été licencié pour motif grave pour avoir frappé le directeur de la production au terme d’une discussion houleuse. La victime a déposé plainte dès le lendemain pour coups et blessures volontaires. Le travailleur a toutefois contesté le licenciement. Peu après, l’employeur a envoyé un courriel à tous les contacts du travailleur (tant les clients que les contacts privés), non seulement pour les informer du fait que l’intéressé a été licencié pour motif grave, mais aussi pour leur préciser de quel motif il s’agissait exactement.
Qu’a dit le juge ?
La Cour du travail de Liège a estimé que la violence exercée à l’égard d’un collègue est constitutive de motif grave sans le moindre doute possible, même si elle s’est manifestée à l’occasion d’une dispute ou dans un environnement de travail stressant. Si la Cour a sévèrement critiqué le fait que l’acte de violence était survenu en présence de nombreux collègues et que la victime exerçait une fonction de direction, elle a toutefois aussi condamné l’employeur à une indemnité de 2 000 € pour abus de droit, considérant que les circonstances du licenciement étaient inacceptables. D’après la Cour, l’employeur avait en effet commis une faute en envoyant un courriel à tous les contacts du travailleur, sans distinction, pour les informer non seulement du licenciement de l’intéressé, mais aussi du motif de ce licenciement.
Que retenir de ce qui précède ?
Conseil 1. Il ressort de cet arrêt que ce n’est pas parce que vous avez licencié à juste titre un travailleur pour motif grave que vous ne risquez plus d’être condamné pour abus droit. Vous devez plus précisément veiller à ce que les circonstances du licenciement ne soient pas intolérables et/ou ne causent pas un préjudice au travailleur, sans quoi vous risquez de devoir lui payer une indemnité.
Conseil 2. Il n’est bien sûr pas interdit de signaler le licenciement d’un collaborateur à vos clients ou fournisseurs, mais uniquement pour autant que cette information soit nécessaire pour la continuité de l’entreprise et respecte la vie privée du travailleur. Le motif du licenciement est p.ex. une «information disproportionnée» qui n’est pas nécessaire. Limitez-vous donc à indiquer qu’un travailleur déterminé n’est plus actif dans l’entreprise et à quelle personne les communications professionnelles peuvent désormais être adressées.
Cour du travail de Liège, 22.05.2018. Décision défavorable à l’employeur.