FRAIS PROFESSIONNELS - DÉDUCTION - 03.07.2023

La déduction fiscale des frais de financement d’une distribution de dividendes à nouveau rejetée en cassation !

La Cour de cassation s’est prononcée pour la troisième fois sur la déduction des frais de financement exposés pour financer une distribution de dividendes et/ou une réduction de capital (Cass., 31.03.2023, F.22.0071.N) . Cette question, qui a beaucoup agité les esprits ces dernières années, semble donc définitivement tranchée. Mais quelle est la particularité de cet arrêt ?

Deux affaires retentissantes

Nyrstar

En juin 2012, Nyrstar a réduit son capital de 350 000 000 €, et a également versé un dividende intercalaire de 100 000 000 €. Pour ce faire, Nyrstar a contracté un prêt de 450 000 000 € auprès de sa société «grand-mère» belge. Le passif du bilan a donc été profondément remanié ; les fonds propres ont été largement remplacés par des dettes. En 2012, Nyrstar a dès lors payé ± 9 700 000 € d’intérêts, dont la déduction a été refusée par le fisc. Et tant le Tribunal de première instance que la Cour d’appel ont donné raison à ce dernier.

Duvel Moortgat

Début 2013, la brasserie Duvel Moortgat a été retirée de la bourse par ses actionnaires familiaux (holdings). Le financement s’est fait en grande partie par le biais d’un superdividende payé aux holdings par la brasserie. Cette dernière a cependant en grande partie financé cette distribution au moyen de prêts bancaires.

Pour l’exercice d’imposition 2014, 1 200 000 € d’intérêts et 500 000 € de frais bancaires ont dès lors été déclarés comme frais professionnels. Pour l’exercice d’imposition 2015, le montant des intérêts s’élevait à 1 600 000 €. Le fisc en a refusé la déduction, et tant le Tribunal de première instance (Trib. Anvers, 28.10.2019) que la Cour d’appel (Anvers, 28.09.2021) lui ont donné raison. C’est cette affaire qui fait l’objet de l’arrêt de cassation qui nous intéresse.

Condition d’intentionnalité

Article 49 CIR 92

Dans les deux cas, la déduction fiscale des frais de financement a été refusée parce que les prêts en question ne répondaient pas à la condition d’intentionnalité imposée par l’article 49 CIR 92 ; les frais de financement n’ont pas été engagés ou supportés en vue d’obtenir ou de conserver un revenu imposable.

L’intention sous-jacente à un prêt est inévitablement liée à celle de la dépense pour laquelle le prêt a été contracté, à savoir (dans cette affaire) une distribution de dividendes et/ou une réduction de capital. Par cette dépense, le capital emprunté quitte les actifs de la société et est distribué aux actionnaires, qui en font ensuite ce qu’ils veulent. Selon le fisc, l’intention n’a jamais été de conserver ou d’obtenir un revenu imposable pour la société emprunteuse. Peut-on dès lors en conclure que les frais de financement des distributions de dividendes et des réductions de capital ne sont jamais déductibles ?

La déduction fiscale n’est pas exclue par principe

Un examen concret est nécessaire

Le ministre des Finances n’exclut pas qu’une société, compte tenu de l’ensemble des circonstances de droit et de fait propres à chaque cas d’espèce, puisse prouver que les conditions de déduction sont remplies (QP 1381, Vanvelthoven, 22.12.2016, Q&R, Chambre, 54, n° 100, p. 324) .

Selon la Commission de ruling, de telles circonstances peuvent en effet être réunies si l’emprunt est contracté pour éviter de devoir distribuer ou céder des actifs qui génèrent des revenus imposables (déc. ant. n° 2018.0802, 11.09.2018) . Le fait qu’une partie des intérêts ne serait de toute façon pas déductible fiscalement en raison des règles en matière de sous-capitalisation a toutefois peut-être contribué à convaincre la Commission de ruling.

Condition d’intentionnalité

Dans l’affaire Nyrstar, la Cour de cassation a explicitement confirmé que de tels frais de financement peuvent effectivement être déduits fiscalement, à condition qu’il soit démontré que toutes les conditions de l’article 49 CIR 92 sont remplies (ce que le contribuable n’a toutefois pas réussi à faire).

La Cour a cité en exemple le fait que le contribuable pouvait s’acquitter de la charge de la preuve relative à la condition d’intentionnalité en démontrant que le prêt visait à empêcher la perte d’actifs utilisés pour obtenir ou conserver des revenus imposables. Dans un tel cas, le contribuable a alors effectivement un intérêt économique propre à contracter l’emprunt.

Il fallait attendre une nouvelle affaire pour voir jusqu’où cela irait. L’affaire Duvel Moortgat a donc donné à la Cour de cassation l’occasion de clarifier les choses.

En pratique, toutefois, la tâche est presque impossible

Conservation des actifs

Le troisième et (provisoirement) dernier arrêt de cassation en la matière met fin (du moins indirectement) à la théorie de la «conservation des actifs» en tant qu’intention. En effet, il est difficilement défendable de ne faire dépendre l’évaluation de la déductibilité que de la mesure dans laquelle la société dispose d’actifs générateurs de revenus. En pratique, cela signifierait vraisemblablement que tous les frais de tous les prêts sont déductibles, à moins que le fisc ne puisse prouver que des fonds pourraient être obtenus par le biais de la vente d’actifs inutiles (non générateurs de revenus). Un tel renversement de la charge de la preuve ne peut pas être accepté.

Le simple fait que le prêt doive, comme le prévoit le contrat de crédit, être utilisé pour les objectifs généraux de l’entreprise ne change rien à la constatation que l’intention réelle de ce prêt était de financer la sortie du marché boursier.

De même, le fait que cette sortie de bourse donne finalement à la société la liberté de procéder à nouveau à des acquisitions, et à obtenir de ce fait une croissance des ventes au fil du temps (ce qui s’est effectivement produit) n’affecte pas cette intention réelle du prêt.

Selon la Cour, la croissance réelle que la société a connue au cours de l’exercice comptable du paiement du dividende et au cours des années suivantes ne prouve en rien que le prêt a été consenti dans le but d’obtenir ou de conserver des revenus imposables.

La jurisprudence antérieure nous a également appris que le simple manque de liquidités n’est pas une preuve suffisante.

Si la déduction fiscale des frais de financement exposés pour payer des dividendes et/ou une réduction de capital ne peut être exclue a priori, les deux affaires susmentionnées démontrent qu’il est extrêmement difficile pour la société emprunteuse de remplir l’exigence d’intentionnalité de l’article 49 CIR 92. Il est de plus devenu clair, depuis lors, que la théorie de la «conservation des actifs» n’est pas d’une aussi grande aide qu’on l’espérait initialement. Ce n’est que si la société emprunteuse démontre un intérêt économique propre suffisamment clair et substantiel que la déduction peut être maintenue. Comme p.ex. en cas de sauvetage de la société mère pour éviter de compromettre sa propre continuité. Dans l’affaire Duvel Moortgat, il n’était pas contesté que la sortie de bourse avait profité à la société ; malheureusement, cet élément est assez facilement rejeté comme une simple conséquence de la transaction, qui n’est dès lors pas utile pour évaluer l’intention au moment où le prêt a été contracté.

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