PLANNING SUCCESSORAL - 04.09.2023

Cassation : la planification successorale par sortie de biens communs n’est pas constitutive d’abus fiscal

Selon Vlabel, l’apport de patrimoine commun au patrimoine propre de chacun des conjoints ou au patrimoine de l’un d’eux tombe sous le coup de la disposition fiscale anti-abus. Les époux «videraient» ainsi la communauté et éluderaient l’impôt de succession sur les biens communs en cas de décès. La jurisprudence récente de la Cour de cassation donne tort à Vlabel.

Sortie : de quoi s’agit-il ?

La clause de sortie a pour objectif de limiter la taille du patrimoine commun. Le retrait ou la sortie de biens de la communauté afin de les attribuer au patrimoine propre des époux ou de l’un d’eux suppose une modification du contrat de mariage. La sortie se fait donc par acte notarié. Un inventaire préalable n’est pas requis.

Fiscalité

En cas de retrait de biens immeubles de la communauté, le droit de partage (1 ou 2,5 % en Région flamande) est dû si le bien immeuble est attribué pour plus de la moitié à l’un des époux. Il n’y a pas de droits d’enregistrement sur le retrait de biens meubles (déc. ant. n° 16007, 22.02.2016) . De plus, Vlabel a presque toujours invoqué que la sortie constituait un abus fiscal.

Selon l’administration fédérale, il est question de donation à concurrence de la moitié des biens acquis lorsque la sortie du patrimoine commun a lieu au profit du patrimoine propre de l’un des deux époux (Rép. RJ, n° S7/16-01, déc. n° E.E./103.994, 21.02.2011) .

Sortie asymétrique

La sortie de la communauté matrimoniale peut être une technique de planification in extremis. Lorsque l’un des époux est en phase terminale, on peut envisager de sortir certains biens du patrimoine commun pour les placer dans le patrimoine propre de l’autre époux. C’est ce que l’on appelle une «sortie asymétrique», parce qu’elle est faite unilatéralement, au profit du conjoint non malade.

Vlabel juge depuis des années que cette opération constitue un abus fiscal, car la sortie asymétrique serait contraire à l’article 2.7.1.0.4 du CFF. Cet article soumet aux droits de succession l’obtention par le conjoint survivant de plus de la moitié de la communauté en vertu d’une clause du contrat de mariage. Vlabel estime que, en effectuant une sortie du vivant des époux, les parties «vident» la communauté et évitent la mutation par décès des biens communs.

Après le Tribunal de première instance, la Cour d’appel (Gand, 16.06.2020) a également donné raison au contribuable : il n’est pas question d’abus fiscal. Vlabel ne satisfait pas à la charge de la preuve qui lui incombe et ne démontre pas que l’opération litigieuse serait contraire aux objectifs de l’article 2.7.1.0.4 du CFF. Le but de cet article n’est pas d’appréhender les partages du patrimoine commun entre vifs, mais uniquement en cas de décès. La Cour d’appel précise qu’il n’appartient ni à l’administration ni au juge d’étendre les objectifs d’une disposition légale. Cet arrêt a finalement été confirmé par la Cour de cassation : une sortie asymétrique n’est pas un abus fiscal (Cass., 06.01.2023) .

Sortie symétrique suivie de donation unilatérale

Dans une «sortie symétrique», les biens sont apportés au patrimoine propre des deux époux dans un rapport (plus ou moins) identique. Selon Vlabel, la sortie suivie d’une donation par l’un des époux (en phase terminale) à l’autre époux (couplée à un fidéicommis de residuo en faveur des membres de la famille du donateur) constitue également un abus fiscal. D’une part, la sortie serait à nouveau contraire à l’article 2.7.1.0.4 du CFF, et d’autre part, la progressivité des droits de succession est contrariée par la donation de biens meubles. Deux arrêts de la Cour d’appel ont donné tort à Vlabel (Gand, 20.04.2020 ; Gand, 27.04.2021) . L’arrêt du 27 avril 2021 a finalement été confirmé par la Cour de cassation : une sortie symétrique suivie d’une donation unilatérale n’est pas un abus fiscal (Cass., 18.11.2022) .

Sortie symétrique suivie de donation réciproque

Il y a donation réciproque lorsque les partenaires se font une donation l’un à l’autre, ce qui les rend chacun réciproquement donateur et donataire. Une telle donation réciproque ne peut porter que sur le patrimoine propre des partenaires, et non sur la communauté. Les époux mariés sous un régime de communauté doivent donc, dans un premier temps, procéder à la «sortie symétrique» des biens meubles communs.

Ensuite, ils se font don mutuellement de ces biens meubles qui, à la suite de la première étape, font partie de leur patrimoine propre. Les partenaires peuvent effectuer des donations réciproques en incluant une clause de retour. Dans ce cas, au décès du prémourant, le conjoint survivant est en possession de ce qui lui a été donné par son partenaire ; quant à la donation qu’il a faite au prémourant, elle est annulée. Un tel retour conventionnel (art. 4.172, §1er, C. civ.) est en fait une condition résolutoire de la donation. Celle-ci est annulée en cas de prédécès du donataire. En cas de condition résolutoire ordinaire, la donation revient par conséquent au donateur sans paiement de droits de succession. En revanche, pour les donations pour lesquelles le retour conventionnel était optionnel et qui interviennent à partir du 1er  janvier 2023, la levée de l’option ne produit ses effets que pour l’avenir. Les biens donnés font donc partie de la succession du donataire, de sorte que les biens faisant l’objet du retour sont quand même soumis aux droits de succession (position Vlabel n° 16030, telle que modifiée le 22.05.2023) .

Selon l’administration fiscale fédérale, la sortie symétrique de biens meubles de la communauté, suivie d’une donation réciproque entre époux, constitue un abus fiscal. Pour Vlabel, ces actes juridiques sont mis sur liste noire, car les époux «vident» ainsi la communauté et évitent la mutation par décès de biens communs (déc. ant. n° 16059, 23.01.2017) . Lors du décès du premier époux, les droits de succession sont perçus comme si la sortie et les donations n’avaient pas eu lieu et comme si le conjoint survivant avait acquis les biens, qu’il obtient par l’effet du retour conventionnel, à titre d’avantage matrimonial au sens de l’article 2.7.1.0.4 du CFF.

Sortie suivie d’une clause d’accroissement

L’apport de biens meubles communs au profit du patrimoine propre des époux, suivi d’un contrat aléatoire, est généralement considéré comme un abus fiscal (voir e.a. déc. ant. n° 19047, 21.10.2019 ; n° 19058, 19.12.2019 ; n° 19061, 20.01.2020 ; n° 20010, 11.05.2020 ; n° 22037, 24.10.2022) . Dans le cas des couples sans enfant, en l’absence de testament contraire, les biens du patrimoine commun reviendront au conjoint survivant au décès de l’un des partenaires. Selon Vlabel, la sortie de biens du patrimoine commun et la conclusion d’une clause d’accroissement portant sur ces mêmes biens constituent un abus fiscal. Vlabel ne tiendra donc pas compte de la convention d’accroissement lors du décès du prémourant.

Cassation

L’arrêt de la Cour de cassation qui déclare que, par la sortie, les époux ne se placent pas en dehors du champ d’application de l’article 2.7.1.0.4 du CFF et n’agissent pas à l’encontre de l’objectif de l’article 2.7.4.1.1 du CFF, offre un argument en faveur d’une telle planification successorale entre époux (sans enfant) mariés sous un régime de communauté, et ce, non seulement lorsqu’ils veulent se faire des donations, mais également s’ils veulent utiliser une clause d’accroissement après la sortie.

CONSEILS

  • L’apport d’un bien commun au patrimoine propre d’un époux nécessite une modification du contrat de mariage sans inventaire préalable.
  • Si, avant le décès, certains biens sont transférés du patrimoine commun vers le patrimoine propre du conjoint (survivant) (sortie asymétrique), la masse imposable aux droits de succession/à l’impôt de succession diminue. Parfois, l’objectif est que, après une sortie symétrique, l’un des conjoints fasse une donation à l’autre, que les deux époux se fassent des donations réciproques, ou qu’ils concluent une clause d’accroissement.
  • Dans deux arrêts récents, la Cour de cassation juge que tant la sortie asymétrique que la sortie symétrique, suivies d’une donation unilatérale, ne sont pas constitutives d’abus fiscal. Les arrêts fournissent également des arguments pour soutenir qu’une clause d’accroissement ou des donations réciproques après une sortie symétrique sont effectivement possibles.

Contact

Larcier-Intersentia | Tiensesteenweg 306 | 3000 Louvain

Tél. : 0800 39 067 | Fax : 0800 39 068

contact@larcier-intersentia.com | www.larcier-intersentia.com

 

Siège social

Lefebvre Sarrut Belgium SA | Rue Haute, 139 - Boîte 6 | 1000 Bruxelles

RPM Bruxelles | TVA BE 0436.181.878