LICENCIEMENT - 08.09.2022

Plainte pour harcèlement : pas de protection illimitée contre le licenciement ?

Si un travailleur porte plainte pour harcèlement au travail, il est en principe protégé contre le licenciement. En quoi consiste exactement cette protection ? Ne pouvez-vous alors absolument pas licencier ce travailleur ? Qu’en dit la jurisprudence récente ?

Législation contre le harcèlement

En tant qu’employeur, vous vous devez d’inclure, dans votre politique générale de prévention des risques psychosociaux causés par le travail, des mesures de lutte contre la violence, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel au travail. L’accent doit être mis sur la prévention. Cette politique de prévention est fondée sur une analyse des risques, un plan de prévention global et un plan d’action annuel en matière de bien-être, que vous devez établir (loi du 11.06.2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, MB 22.06.2002) .

On entend par «risques psychosociaux au travail» : la probabilité qu’un ou plusieurs travailleur(s) subisse(nt) un dommage psychique, qui peut également s’accompagner d’un dommage physique, à la suite de l’exposition à des composantes de l’organisation du travail, du contenu du travail, des conditions de travail, des conditions de vie au travail et des relations interpersonnelles au travail, sur lesquelles l’employeur a un impact et qui comportent objectivement un danger (loi du 04.08.1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, version coordonnée) .

Le harcèlement moral au travail est défini comme les conduites abusives et répétées de toute origine, externe ou interne à l’entreprise ou l’institution, qui se manifestent notamment par des comportements, des paroles, des intimidations, des actes, des gestes et des écrits unilatéraux, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’un travailleur ou d’une autre personne lors de l’exécution de son travail, de mettre en péril son emploi ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Pour parler de harcèlement moral, il doit donc y avoir un «ensemble abusif de plusieurs conduites». Il ressort de la jurisprudence que les faits suivants, lorsqu’ils sont répétés et combinés à d’autres faits, peuvent être considérés comme du harcèlement au travail : commérages, modification injustifiée de tâches que le travailleur n’est pas en mesure d’accomplir, travail insuffisant ou inexistant, isolement des travailleurs, communication blessante, accusations ou reproches injustifiés à l’égard d’un travailleur.

Procédures internes

En tant qu’employeur, vous devez mettre en place des procédures auxquelles vos travailleurs peuvent faire appel s’ils pensent subir un préjudice psychologique (éventuellement accompagné d’un préjudice physique) en raison des risques psychosociaux auxquels ils sont exposés au travail.

Cette procédure se déroule en trois phases : une première phase préliminaire commence dès le premier contact du travailleur avec la personne de confiance ou le conseiller en prévention aspects psychosociaux (CPAP), après quoi, au plus tard dans les dix jours, le CPAP informe le travailleur des possibilités d’intervention. Dans une deuxième phase, le travailleur peut demander une intervention psychosociale. La demande est traitée dans la troisième phase, et suivie d’une décision de l’employeur.

Dans la deuxième phase, le travailleur a la possibilité de demander d’abord une intervention psychosociale informelle à la personne de confiance ou au CPAP, ou d’initier immédiatement une intervention psychosociale formelle par le CPAP. À la suite d’une plainte formelle, le CPAP procédera d’abord à un examen marginal pour déterminer si la demande contient un risque psychosocial au travail. Le CPAP communique sa décision dans les dix jours. Si la demande est acceptée, le CPAP en informe l’employeur dans les meilleurs délais, en précisant la procédure à suivre et la date à laquelle l’employeur doit prendre sa décision sur les suites à donner à la demande.

Dans les trois mois de la notification du CPAP, l’employeur doit communiquer par écrit sa décision motivée sur les suites qu’il donnera à la demande. Cette communication doit être faite au CPAP, au conseiller en prévention du service interne pour la prévention et la protection au travail et, seulement s’il s’agit d’une plainte ayant un caractère collectif, au comité pour la prévention et la protection au travail (ou à la délégation syndicale, s’il n’y a pas de comité pour la prévention et la protection au travail).

Protection contre le licenciement ?

Afin de permettre aux travailleurs de dénoncer des actes de violence ou de harcèlement moral ou sexuel sans crainte de représailles, une protection spéciale contre le licenciement a été prévue. Ainsi, vous ne pouvez pas licencier un travailleur ou prendre une mesure préjudiciable à son encontre après la fin du contrat de travail (comme le refus de fournir des références, etc.), sauf pour des raisons étrangères à la demande d’intervention psychosociale formelle. Un travailleur qui introduit une plainte informelle ne bénéficie pas de cette protection contre le licenciement.

Le travailleur est protégé durant les 12 mois qui suivent la réception de la demande formelle d’intervention du CPAP. Si le travailleur entame une procédure judiciaire contre l’employeur, il bénéficie également de la protection spéciale contre le licenciement, à partir du moment où la procédure judiciaire est engagée et jusqu’à trois mois après que la décision du tribunal est devenue définitive.

Si l’employeur licencie quand même le travailleur, il doit alors pouvoir prouver que le licenciement a été effectué pour une raison autre que la plainte déposée par le travailleur. La charge de la preuve repose donc sur l’employeur, et fournir une telle preuve n’est pas évident.

Que dit la jurisprudence ?

La portée exacte de cette protection contre le licenciement fait depuis longtemps l’objet de discussions. Selon l’opinion majoritaire, il est non seulement interdit de licencier le travailleur pour des raisons liées à la demande d’intervention psychosociale formelle ou à la plainte, mais également pour des motifs découlant des faits contenus dans la demande d’intervention ou la plainte.

Selon la Cour de cassation (Cass., 20.01.2020, AR S.19.0019.F, https://www.juridat.be) , un employeur peut prendre une mesure préjudiciable ou licencier un travailleur pour les motifs invoqués dans la demande contre le harcèlement. Selon la Cour, les travailleurs ont seulement droit à une indemnité de protection lorsque leur licenciement est fondé sur le dépôt de la plainte pour harcèlement. Un licenciement lié aux faits indiqués dans la plainte ne suffit pas.

La Cour de cassation a confirmé cette position dans un arrêt du 15 juin 2020 (Cass., 15.06.2020, AR S.19.0041.N, https://www.juridat.be) . Un directeur général d’un groupe d’écoles a été impliqué dans un conflit avec un certain nombre de directeurs d’école au sein de ce groupe, en raison du licenciement par le directeur général du directeur financier dudit groupe. Cela a conduit à une motion de défiance à l’encontre du directeur général, qui a alors déposé une plainte formelle pour harcèlement auprès du CPAP, lequel a conclu à l’existence d’un hyperconflit et proposé un plan de sortie. Ce plan n’a pas été accepté par le conseil d’administration, qui a alors mis fin au mandat du directeur général pour divers motifs, mais aussi en raison des demandes répétées de l’assemblée générale de mettre fin au mandat, et de la manière dont tout cela s’est déroulé. C’était évidemment en rapport avec la plainte formelle qu’avait déposée le directeur général, à la suite de quoi la Cour du travail était d’avis que le directeur général avait droit à l’indemnité de protection (C. trav., Bruxelles, 15.01.2019, https://www.juridat.be) . La Cour de cassation n’était pas d’accord et considère que, selon la législation applicable, un employeur peut toujours justifier un licenciement (ou toute autre mesure préjudiciable) en invoquant le contenu de la plainte pour harcèlement.

CONSEILS

  • Si le travailleur dépose une plainte formelle pour harcèlement moral au travail, vous pouvez toujours le licencier, mais la charge de la preuve est inversée. Vous devrez donc prouver que le licenciement n’a pas été prononcé en raison de la plainte, à défaut de quoi vous devrez payer une indemnité de six mois de salaire.
  • Le travailleur concerné n’est protégé que lorsque le conseiller en prévention aspects psychosociaux a accepté la plainte. Par conséquent, le dépôt d’une plainte totalement inattendue ne confère plus aucune protection. Une demande d’intervention informelle ne protège pas davantage.
  • Selon la Cour de cassation, la réglementation n’exclut pas que le licenciement puisse être justifié par des motifs tirés des faits invoqués dans la plainte. Ce point de vue permet de réduire la charge de la preuve pour l’employeur.

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